PIERRE SZÉKELY
À PROPOS D’UN SIGNE
J’ai rencontré
Pierre Székely à l’occasion son voyage en Inde en 1978. J’étais Directeur de
l’Alliance Française de Delhi et lui ai demandé de créer un logotype pour
l’Alliance Française.
Dans le Bulletin d’information
de l’Alliance Française de novembre 1979, j’écrivais ceci : Entre Szeemann et Széletien apparaît,
dans l’édition 1976 du « Grand Larousse », Székely :
« Székely
(Pierre), sculpteur français d’origine hongroise (…). Lorsqu’il vient se fixer
en France, il abandonne ses petits objets d’argile pour des formes
non-figuratives en pierre. Particulièrement préoccupé par la matière et
l’espace, il est conduit à s’intéresser aux rapports entre la sculpture et
l’architecture et à la sculpture-architecture, dont il est l’un des pionniers
en France : il conçoit notamment la maison « Le Bateau Ivre » à Saint Marcellin
(1954), La Chapelle du Carmel de Valenciennes à Saint-Saulve (1963-1966), un
village de loisirs et de culture à Beg-Meil (1965-1969). A côté de ces
sculptures qui dressent leurs formes simples et rudes comme de vastes signes,
il réalise des œuvres intégrées à l’architecture : sculptures praticables pour
enfants, sculptures-jeux en béton… Enfin il réalise ses gravures sur pierre et
sur ciment, des tapisseries, des vitraux ou encore des sculptures scéniques
pour le théâtre.
Il serait long de
mentionner toute l’oeuvre de Pierre Székely. Il nous a fait parvenir un dossier
de plus de sept pages, à la suite desquelles il a précisé : à suivre… Indiquons
toutefois, parmi ses derniers travaux en 1978, L’Homme Libre, granits
polychromes, à Paris, à La Défense ; la même année il obtient le Grand Prix de
la Biennale internationale des Arts de la Rue pour La Dame du Lac à la Ville
Nouvelle d’Évry.
A la fin de
l’année dernière, Pierre Székely fait une tournée de conférences en Asie, au
Japon, à Hong-Kong ; en Inde, dans les Alliances Françaises de Delhi et de
Calcutta, et à Auroville où il a pu voir sa sculpture L’Univers OEuf. Enfin il
a créé au Japon une sculpture monumentale en granit, Le Regard, dédié à André
Malraux, ainsi qu’un calligramme monumental pour le temple bouddhiste d’Un An.
Il me vient en mémoire ces mots du poète, qui peuvent s’appliquer à la démarche
de Pierre Székely confronté à la création d’un logotype pour l’Alliance
Française de Delhi :
Je ne sais si
l’intuition et l’imagination ont une vitesse qui approche ou bien dépasse celle
de la lumière. Je n’ignore pas, par contre, qu’avec la lenteur de ma
respiration et de mes gestes, à la mesure que mon travail quotidien avance, des
signes se créent, à l’image de l’intuition et de l’imagination, à l’image de
cette vie. C’est bien un univers de signes que Pierre Székely a voulu proposer
dans cette approche visuelle de notre Institution.
Il ne veut pas
expliciter, et loin de lui la démarche conventionnelle de ceux pour qui le
signe doit à l’instant être évident, attitude qui les mène à ces
signes-cocorico, comme la représentation d’un coq (gaulois) ou d’une tour
Eiffel (parisienne) en passant par les effets bleus d’un « A » majuscule qui
ponctue béatement le rouge du « F » sans oublier l’espace blanc qui les unit.
Autant de redondances inutiles et peu vivifiantes pour l’esprit. Pierre Székely
propose un signe, qui à priori, ne représente pas l’Alliance Française dans une
perspective associationniste directement lisible. Qu’importe ! Le propre d’un
logotype intelligent n’est-il pas de fuir le pléonasme, la lisibilité immédiate
et facile, et puisqu’il propose des signes sans les imposer, la force d’un
logotype n’est-elle pas de relever de l’intuition et de l’imagination plutôt
que de la répétition, de l’insistance têtue qui confine au bégaiement et qui
finit par anesthésier le lecteur tout en le confortant dans la sécurité du
compréhensible ?
Alors, à quoi bon
le signe ? A quoi bon le dessin ? Il n’y a plus de dessein, dans ce cas, et
l’expression « Alliance Française de Delhi » se suffit à elle-même. Ce qui nous
voulons, c’est un signe qui soit la respiration des mots, sa coloration, son
espace et la relation visuelle originale : le dire ou le lire « Alliance
Française de Delhi » s’accompagnera de la visualisation de ces formes simples
qui peuvent facilement se graver dans la mémoire. Pierre Székely s’est inspiré
d’un travail réalisé à Auroville, non loin de Pondichéry, L’Univers OEuf.
C’est le même oeuf
qui donne la vie à la première lettre du mot « Alliance » la lettre « a », qui
lui reprend ses courbes, ses rondeurs et donne expansion au titre entier «
alliance française de delhi », comme dans un mouvement
générateur : l’oeuf, cet élément oblong, est « couvé » par la double chaleur de
deux coques dont l’une est à l’inverse de l’autre : cette gémellité confirme le
dualisme de notre Institution, à la fois centre d’enseignement, de culture et
centre d’amitié franco-indienne. Revenons à l’intuition : Pierre Székely a su
joindre, « mettre ensemble », logotype et expression. N’est-il pas alors peu
surprenant de savoir que le mot « sandhi », qui
signifie « joindre » est un terme hérité des anciens grammairiens de l’Inde ?
De même, l’oeuf contenu dans le logotype reprend sa forme à ces éléments qui
représentent les différentes phases de l’évolution et/ou de l’involution
cosmique, telles qu’on peut les découvrir sur sept peintures du dix-huitième
siècle du Rajasthan. Peut-on aller plus loin dans le passé et dans
l’élucidation des fulgurances intuitives de Pierre Székely ? Nous avons vu
ainsi que la sphère székélienne confine au « yantra »
qui signifie « support » ou « outil », « pour provoquer la méditation ».
Citons Ajit
Mookerjee et Madhu Khanna (inThe Tantric Way):
A Yantra, which means « aid »
or « tool » is generally drawn on paper or engraved on metal (…) to aid
meditation (…). Just as a mantra is a sound equivalent, the yantra
is a diagrammatic equivalent of thedeity and consists
of linear and spatial geometrical permutations of the deity. The primal
abstract and shapes, such as the point, line, circle, triangle, square, are
harmonized in composition to provide a formal equilibrium which is both static
and dynamic. A common feature of the Yantra is that
it possesses an element of centrality around which the whole figure is built
up. The centre as point of origin and balance evokes
the idea of emanation and radiation. Envelopped in
vertical and horizontal extensions it conveys a sense of formal mathematical
order and regularity.
Plus étonnant encore:
The mandala: the word means circle, is an archetypal
image signifying wholeness and totality. It represents the cosmos or the potent
core of psychic energy, and is a perennial balance of force whose beginning is
in its end, whose end is in its beginning. Usually painted on cloth of paper,
the mandala is widely used in tantric worship and forms an essential part of
the ritual. The adept is initiated to visualized the primal essence of the
mandala in its external form and then to internalize it through contemplation
into a psychic force. Thus the circle as a symbol of wholeness functions as
a « paradigm of involution and evolution”. Like the
mandalas and yantras, the eggs shaped Brahmända, (…) mostly in stone and used for ritual,
manifest a realization of the wholeness. In the Brahmända,
« Brahma-Anda », the totality is represented in the
form of an egg. The Brahman (The Absolute) is symbolized as an aurore which surrounds the universe and forms the egg (Anda), the Cosmic Egg (Brahmända).
Comment ne pas
évoquer alors ce fleuve de l’Inde de l’ouest, la Narmanda,
où l’on trouve en grand nombre ces pierres à forme elliptique, ces élements-oeufs sculptés par le pouvoir de l’eau ? Cette
polysémie d’un signe qui deviendra peu à peu l’idéogramme de l’Alliance
Française, dont il ponctue la présence visuelle jusqu’à s’intégrer aux mots, et
faire partie d’un tout indissociable, c’est sa richesse qui touche non
seulement à une forme d’intuition du passé mais aussi à l’intuition du futur.
Comment ne pas être sensible aux formes résolument contemporaines d’un signe
dont la modernité souligne le rôle que nous voulons avoir dans le monde,
puisque nous sommes lieux par excellence du dialogue des cultures et de la
défense et de l’illustration de notre langue ? Pierre Székely, en créant ce
signe-satellite, ce signe cosmos, a su coïncider avec cette prémonition de nos
désirs et de notre rayonnement.
Rémy Durand
New-Delhi, novembre 1979