La chapelle de Saint-Rouin, pépite de la forêt d’Argonne
Reportage
Fruit de
la rencontre de trois jeunes prêtres bâtisseurs, la chapelle Saint-Rouin, dans la Meuse, a été dessinée par le père dominicain
Rayssiguier, disciple de Le Corbusier. Soixante ans
après sa création, ce bijou de sobriété en pleine forêt reste très
méconnu. Lieux d’art secrets (2/5).
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Élise Descamps, à Beaulieu-en-Argonne (Meuse),
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le 27/07/2021 à 14:23
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Modifié le 27/07/2021 à 15:07
La chapelle de Saint-Rouin est cachée dans la forêt d’Argonne (Meuse).HERVÉ HUGHES/HEMIS.FR
Qui a déjà pris le TGV Est ou l’autoroute A4 est passé tout près, sans
le savoir, en traversant la forêt d’Argonne. La chapelle Saint-Rouin est un secret bien gardé des Meusiens. Sur la route départementale
D2, entre Beaulieu-en-Argonne et Futeau, le panneau
signalant le chemin vers le site n’indique que « l’ermitage », la maison dédiée
aux pèlerins, et pas l’édifice religieux, pourtant curiosité architecturale de
premier plan, classée à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Encadrée de hauts hêtres, chênes et sapins s’élançant vers le
ciel, la chapelle ne se dévoile dans son entièreté qu’une fois gravi un
nécessaire chemin d’approche. Francis Jolly, président passionné de
l’association des Amis de Saint-Rouin, chargée
d’entretenir le site, qui nous accompagne, prévient : « Je l’aime
beaucoup. Mais elle a fait jaser, à l’époque. »
Un lieu de pèlerinage
Parallélépipède de béton, construit sur pilotis, à flanc de pente,
l’édifice, troué de larges et doux vitraux impose un arrêt au visiteur, saisi. La
construction est simple, et les lignes pures. Mais littéralement « brut
de décoffrage », le béton a gardé l’empreinte des veinures des planches, et
pourrait presque être pris pour du bois. À l’intérieur, le calme, l’obscurité
et la petitesse du lieu (environ 12 mètres de long) convoquent immédiatement le
silence, tandis que la forme trapézoïdale dirige le regard vers l’autel.
La
forme trapézoïdale de la chapelle dirige le regard vers l’autel. / Bertrand Rieger/Hemis.fr/© Pierre Székely/ Adagp,
Paris, 2021
Quelle dose de folie ou de génie a-t-il fallu, dans les années 1950,
pour mener ce projet ici ? Le site, appelé Bonneval, accueille en effet un
pèlerinage séculaire, incarnation par excellence de la piété populaire, qui peut
sembler aux antipodes des avant-gardes. On raconte qu’au VIIe siècle
un moine irlandais vint évangéliser le secteur et après avoir bâti un monastère,
sur le promontoire de Beaulieu, devint ermite dans le vallon. Au fil des
siècles s’y tint de manière discontinue un pèlerinage à ce Saint-Rouin, l’eau de la source qui y coule étant réputée être miraculeuse.
Le site a été doté d’un ermitage (pour loger les pèlerins), d’une chapelle,
ruinée après la Seconde Guerre mondiale et d’une « cathédrale de verdure », où
tenir la messe en plein air, au sein de laquelle a été installé un retable
sculpté du XVIIIe siècle, seul vestige de l’église de l’abbaye de Beaulieu.
En pleine période pré-Vatican II, un vent de liberté va pourtant venir
tourbillonner dans cette clairière rurale, devenue le grand projet de trois
prêtres bâtisseurs, à la très forte personnalité.
Les Pères Bonnet,
Hennequin, Rayssiguier
Le jeune dominicain novice Serge Bonnet, enfant de Sainte-Menehould,
sortant d’études de droit – et qui deviendra un sociologue reconnu – est
souvent venu à Bonneval dans son enfance. C’est là que, adulte, il a reçu la
vocation de la prêtrise, et le souhait d’y insuffler une nouvelle dynamique,
dans l’esprit d’une paroisse occasionnelle tournée particulièrement vers la
jeunesse. Dès 1949, ce mobilisateur né organise des camps de jeunes, pour
nettoyer le site, et de fil en aiguille rassemble autour de lui ceux, souvent
militants de l’action catholique, que l’on appellera « les compagnons de Saint-Rouin ».
Il rencontre le nouveau curé de la paroisse voisine des Islettes, l’abbé Hannequin, ancien
aumônier de la jeunesse agricole chrétienne. Ils sont d’accord : il faut reconstruire
une chapelle. Après une longue recherche d’architecte, ils valident le projet
du jeune père Louis-Bertrand Rayssiguier, un autre
dominicain. Celui-ci a découvert l’art au couvent du Saulchoir, le lieu d’étude de la province dominicaine de
France, et s’est passionné pour Le Corbusier. Son engouement pour le renouveau
de l’art sacré l’a conduit à se rapprocher de Matisse et à élaborer avec lui le
projet de la chapelle Saint-Paul de Vence. L’évêque de Verdun, Mgr
Georges-Marie Petit, est enthousiaste.
Inspirée par
Le Corbusier
La première décision est de ne pas reconstruire la chapelle au même
endroit (accolée à l’ermitage). « Pour le recueillement, il était indiqué
d’éloigner la chapelle du bâtiment où s’agitent les visiteurs », racontera
le père Rayssiguier. L’accès par un sentier, à l’époque
escarpé, est voulu. « L’édifice est difficile d’abord. Dieu l’est
davantage. Il ne suffit pas d’entrer dans un lieu saint pour l’y trouver »,
justifiera l’abbé Hannequin.
Ses principes architecturaux s’inspirent de ceux de Le Corbusier :
béton armé, toit plat et pilotis, qui élèvent l’édifice, comme en suspension dans
le paysage. L’humidité et l’isolement du site président également au choix des
matériaux (béton, verre, métaux inoxydables) et de l’architecture avec un toit
incliné à 5 % pour permettre l’écoulement des eaux et l’évacuation des feuilles
d’automne, tandis que les pilotis isolent la chapelle du sol humide. La
chapelle doit être robuste et nécessiter peu d’entretien.
Dépouillement
Ascétique, elle ne comporte aucune image, aucun instrument de musique,
à l’exception d’une cloche, et aucun siège. Elle n’est dotée ni de l’électricité,
ni du chauffage. Son aménagement intérieur, baigné de couleurs grâce aux larges
vitraux, s’ordonne autour de trois espaces sacramentaires (baptême, pénitence,
eucharistie) et se concentre sur le mobilier liturgique, lui aussi très sobre.
L’autel est fait de 12 tonnes de grès.
L’ntérieur est baigné de couleurs, grâce aux larges vitraux
La
construction fait intervenir aussi bien des acteurs locaux dont le très investi
charron François Jannin, que des prodiges venus d’ailleurs.
Comme cette jeune Franco-Japonaise de 10 ans vivant à Paris, Kimié Bando, fille d’une amie du père
Rayssiguier. L’enfant se voit confier les cartons des
vitraux – insérés dans de larges et originales formes triangulaire, ronde et
carrée –, le clocher, le dessin du gratte-pieds en fer forgé (qui mérite
véritablement de baisser le regard avant d’entrer), et suggère de tracer de
grands traits irréguliers sur la façade, telles des branches donnant vie au béton.
Après le décès brutal du père Rayssiguier
fin 1956, le sculpteur hongrois Pierre Székely achèvera l’aménagement intérieur,
notamment le pavage en pierre de Comblanchien, la croix sommitale de 7 mètres
de haut, ou encore la porte d’entrée, conçue pour rester toujours ouverte :
elle ne ferme pas à clé !
Des résistances
locales
L’édifice n’est pourtant pas du goût de tous : beaucoup d’habitants
et de membres de l’Église le jugent laid. Ils y voient une défiguration du
paysage, presque satanique ! L’évêque de Verdun s’engage : « Le béton
est le matériau de notre siècle. Il est tout aussi capable de chanter la gloire
de Dieu que les fausses pierres taillées, les bois peints en marbre et tout le
“toc” qu’affectionnent nos devanciers. » Les porteurs du projet,
convaincus de mener une juste bataille de l’art sacré, prennent des décisions
parfois brutales, comme la destruction du chemin de croix en fausses grottes,
datant de la fin du XIXe siècle, ce
qui fait scandale.
Laborieuse, la construction, qui s’est étalée de 1954 à 1961, l’a aussi
été faute de ressources financières, et n’aurait sans doute pas été possible
sans le volontarisme du père Hannequin, qui se
donnera au chantier corps et âme – jusqu’à être inhumé à même la forêt, juste
en dessous de la chapelle –, faisant sans cesse appel aux dons. L’entreprise de
bâtiment meusienne Berthold, s’y impliquant avec un désintéressement militant,
attendra fort longtemps avant d’être payée ! « Des visites payantes du
chantier, avec restauration sur place, furent même organisées par les
bénévoles, pour engranger des ressources », se souvient Noëlle Cazin, enfant à l’époque, amie de Serge Bonnet, et ancienne
conservatrice de la bibliothèque départementale de la Meuse.
Elle l’admet, « la chapelle reste méconnue, alors qu’elle est
un édifice majeur de l’art sacré du troisième quart du XXe siècle
». Un édifice et une aventure humaine « totalement hors du commun
».
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La vie sur le
site aujourd’hui
Propriété du diocèse de Verdun, les six hectares du site de Saint-Rouin sont entretenus par l’association des Amis de Saint-Rouin. Une dizaine d’entre eux se retrouvent un dimanche par
mois pour l’entretenir. L’association gère aussi la location de l’ermitage, pouvant
accueillir des groupes, avec sa vaste salle à manger et ses cinq chambres.
Libre d’accès en permanence, y compris la chapelle, dont les portes sont
ouvertes jour et nuit, le site, traversé par des chemins de randonnée, est un
lieu de promenade pour habitants, touristes avisés et motards. Ne s’y tiennent
pas de messes dominicales, mais, de temps en temps, des baptêmes. Deux événements
religieux sont orchestrés dans la chapelle de verdure par la paroisse
Saint-Jacques de l’Aire, et avec la participation des deux paroisses voisines :
chaque troisième vendredi de juin, la fête du Sacré-Cœur, et tous les 17
septembre, une procession et une célébration en plein air pour commémorer la
date de la mort du saint. Mais sans utiliser la chapelle contemporaine, trop
exiguë.
Les Amis de Saint-Rouin, 26 rue de Lorraine, 55250 Senard, Tél. :
03.29.70.77.24.