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La Drac
insiste sur « le caractère unique des vitraux-sculptures
» de l'église.
ARDENNES. L'église de Fossé
vient d'être inscrite à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
Ses vitraux uniques, sa fresque et son mobilier des années 50 lui valent d'être
le seul édifice ardennais protégé en 2011. Une sacrée revanche pour une église
que le Vatican rêvait de détruire…
PETIT à petit, Fossé fait son trou. Ce
confetti posé au cœur de l'Argonne ardennaise, à quatre kilomètres de Buzancy,
compte à peine une cinquantaine d'habitants. Pourtant, c'est bien ici que se
cache le seul édifice ardennais protégé en 2011 au titre des Monuments
historiques.
Le 28 novembre dernier, sur proposition de la Commission régionale du
patrimoine et des sites, le préfet de région a en effet décidé d'inscrire
l'église Saint-Nicolas à l'Inventaire supplémentaire.
Un chantier secret
Cet honneur, la modeste église paroissiale du XIXe siècle le doit à la qualité
et à l'originalité de son décor, qui provoqua il y a cinquante ans une bataille
d'Hernani demeurée célèbre, que nous avions évoquée dans nos colonnes il y a
deux ans.
Tout commence durant l'hiver 1944 - 1945.
À l'aube de la délivrance, les Alliés bombardent un blockhaus allemand bâti
derrière l'édifice. Le chœur de l'église vole en éclats. Dix ans plus tard, la
Coopérative de reconstruction des églises dévastées de France confie le
réaménagement intérieur à trois artistes prometteurs, aujourd'hui reconnus.
Pierre Székely est peintre et sculpteur, son épouse
Véra céramiste, et André Borderie les trois à la fois.
Très vite, le trio devient quatuor, avec l'arrivée de la toute jeune Agnès
Varda, future grande dame du cinéma. Appareil photo en main, elle photographie
l'avancée des travaux.
Ceux-ci ont lieu de la fin 1954 à l'été 1955. Et sont menés dans la plus grande
discrétion…
Une Vierge enceinte
Le jour de l'inauguration, le 14 août 1955, la surprise n'en est que plus
grande. Quand le portail s'ouvre enfin, une explosion de couleurs emporte tout
sur son passage. Le sol est rouge, le plafond gris anthracite, le mur de gauche
vert sapin, le mur de
droite blanc comme neige, le cintre est bleu et le chœur
jaune citron ! À l'entrée, une peinture murale sur le thème de l'Alléluia
recouvre tout le mur, avec des lignes verticales incisées dans le ciment.
À cet arc-en-ciel répond la sobriété du décor. Comme tout le mobilier, le
confessionnal est épuré au possible. Le tabernacle repose derrière une fenêtre
à clous. Le chemin de croix a pris la forme d'un livre réalisé par Agnès Varda.
Les vitraux recouvrant les baies sont en réalité huit sculptures métalliques
noires supportant des verres blancs dépolis.
Quant à la statuaire… Le baptistère de forme ovoïde évoque un utérus, le Christ
a perdu sa croix et la Vierge est enceinte !
Très vite, un « fossé » se creuse entre classiques et modernes. Les premiers
crient au scandale, les seconds au génie. Comme on va au Louvre, certains vont
à Fossé. Des cars se déversent devant la petite église de campagne. Durant ces
années qui voient se marier art sacré et art contemporain, on parle du quatuor
de Fossé comme on parle de Matisse à Saint-Paul-de-Vence, de Picasso à
Vallauris, du Corbusier à Ronchamp ou de Cocteau à Milly-la-Forêt.
Colère à Rome
Mais cet afflux de touristes renforce la colère des villageois, convaincus
d'être la risée du département. « On se moque de nous ! » confient-ils à
l'époque. Comparant le confessionnal à une « douche », saint Jean à « une
bouteille », fustigeant un baptistère qui les obligerait à « aller faire
baptiser les gosses au pays voisin », les braves gens vont se livrer à une
terrible vendetta.
La colère culmine en 1956 et 1957, lorsque le Vatican rejoint l'armée des
opposants. Depuis Rome, dans un courrier daté du 3 juillet 1957, la sainte Congrégation
des rites « déplore et condamne une représentation aussi sacrilège de la
Passion de Notre Seigneur et demande à Votre excellence (l'archevêque de Reims,
ndlr) de mettre tous ses soins à faire enlever et
détruire ces images. » Rien que ça.
Le résultat est catastrophique. Nul ne sait aujourd'hui ce que sont devenus la vierge, le christ et la statue de saint Jean. Quant au baptistère,
des villageois l'auraient fracassé en pleine rue et auraient rempierré un chemin avec les morceaux !
En l'absence du baptistère, du calvaire, des statues de la vierge et de saint Jean, et du
chemin de croix (déchiqueté par les paroissiens), que reste-t-il à protéger ?
D'une part, les verrières sculptées de Székely, qui
sont un peu à l'Argonne ce que les vitraux de Dürrbach
sont à Mézières. D'autre part, la fresque de Borderie et Székely
et les peintures des murs (malheureusement affadies lors de travaux municipaux
il y a deux ans). Enfin, le mobilier presque abstrait, à l'image des sièges et
du confessionnal.
Réclamée depuis longtemps par des passionnés comme Michel Coistia
et l'abbé Pinard (lire par ailleurs), cette protection a été motivée, explique
la Direction régionale des affaires culturelles, « par la qualité de son décor
intérieur et son homogénéité, ainsi que par le caractère unique des vitraux-sculptures. » La Drac indique par ailleurs que «
l'édifice et son décor formant un tout, c'est bien l'édifice dans sa totalité
qui est protégé ».
Détruite par les soldats, saccagée par les villageois, condamnée par les
religieux et dénaturée par les élus, l'église, ou du moins ce qu'il en reste,
est enfin protégée de la folie des hommes.
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sites protégés depuis 1998
On recense en France près de 42 000 sites protégés, dont 13 400 classés et 28
600 inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. En mai
2010 (dernier chiffre connu), la région Champagne-Ardenne
en comptait 1 423 (600 classés et 823 inscrits). On en dénombre aujourd’hui 222
dans les Ardennes.