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L'église de Fossé, monument historique

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Publié le vendredi 20 janvier 2012 à 10H17 - Vu 157 fois

 

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La Drac insiste sur « le caractère unique des vitraux-sculptures » de l'église.

La Drac insiste sur « le caractère unique des vitraux-sculptures » de l'église.

 

ARDENNES. L'église de Fossé vient d'être inscrite à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. Ses vitraux uniques, sa fresque et son mobilier des années 50 lui valent d'être le seul édifice ardennais protégé en 2011. Une sacrée revanche pour une église que le Vatican rêvait de détruire…

PETIT à petit, Fossé fait son trou. Ce confetti posé au cœur de l'Argonne ardennaise, à quatre kilomètres de Buzancy, compte à peine une cinquantaine d'habitants. Pourtant, c'est bien ici que se cache le seul édifice ardennais protégé en 2011 au titre des Monuments historiques.
Le 28 novembre dernier, sur proposition de la Commission régionale du patrimoine et des sites, le préfet de région a en effet décidé d'inscrire l'église Saint-Nicolas à l'Inventaire supplémentaire.

Un chantier secret

Cet honneur, la modeste église paroissiale du XIXe siècle le doit à la qualité et à l'originalité de son décor, qui provoqua il y a cinquante ans une bataille d'Hernani demeurée célèbre, que nous avions évoquée dans nos colonnes il y a deux ans.
Tout commence durant l'hiver 1944 - 1945.
À l'aube de la délivrance, les Alliés bombardent un blockhaus allemand bâti derrière l'édifice. Le chœur de l'église vole en éclats. Dix ans plus tard, la Coopérative de reconstruction des églises dévastées de France confie le réaménagement intérieur à trois artistes prometteurs, aujourd'hui reconnus. Pierre Székely est peintre et sculpteur, son épouse Véra céramiste, et André Borderie les trois à la fois.
Très vite, le trio devient quatuor, avec l'arrivée de la toute jeune Agnès Varda, future grande dame du cinéma. Appareil photo en main, elle photographie l'avancée des travaux.
Ceux-ci ont lieu de la fin 1954 à l'été 1955. Et sont menés dans la plus grande discrétion…

Une Vierge enceinte

Le jour de l'inauguration, le 14 août 1955, la surprise n'en est que plus grande. Quand le portail s'ouvre enfin, une explosion de couleurs emporte tout sur son passage. Le sol est rouge, le plafond gris anthracite, le mur de gauche vert sapin, le mur de droite blanc comme neige, le cintre est bleu et le chœur jaune citron ! À l'entrée, une peinture murale sur le thème de l'Alléluia recouvre tout le mur, avec des lignes verticales incisées dans le ciment.
À cet arc-en-ciel répond la sobriété du décor. Comme tout le mobilier, le confessionnal est épuré au possible. Le tabernacle repose derrière une fenêtre à clous. Le chemin de croix a pris la forme d'un livre réalisé par Agnès Varda. Les vitraux recouvrant les baies sont en réalité huit sculptures métalliques noires supportant des verres blancs dépolis.
Quant à la statuaire… Le baptistère de forme ovoïde évoque un utérus, le Christ a perdu sa croix et la Vierge est enceinte !
Très vite, un « fossé » se creuse entre classiques et modernes. Les premiers crient au scandale, les seconds au génie. Comme on va au Louvre, certains vont à Fossé. Des cars se déversent devant la petite église de campagne. Durant ces années qui voient se marier art sacré et art contemporain, on parle du quatuor de Fossé comme on parle de Matisse à Saint-Paul-de-Vence, de Picasso à Vallauris, du Corbusier à Ronchamp ou de Cocteau à Milly-la-Forêt.

Colère à Rome

Mais cet afflux de touristes renforce la colère des villageois, convaincus d'être la risée du département. « On se moque de nous ! » confient-ils à l'époque. Comparant le confessionnal à une « douche », saint Jean à « une bouteille », fustigeant un baptistère qui les obligerait à « aller faire baptiser les gosses au pays voisin », les braves gens vont se livrer à une terrible vendetta.
La colère culmine en 1956 et 1957, lorsque le Vatican rejoint l'armée des opposants. Depuis Rome, dans un courrier daté du 3 juillet 1957, la sainte Congrégation des rites « déplore et condamne une représentation aussi sacrilège de la Passion de Notre Seigneur et demande à Votre excellence (l'archevêque de Reims, ndlr) de mettre tous ses soins à faire enlever et détruire ces images. » Rien que ça.
Le résultat est catastrophique. Nul ne sait aujourd'hui ce que sont devenus la vierge, le christ et la statue de saint Jean. Quant au baptistère, des villageois l'auraient fracassé en pleine rue et auraient rempierré un chemin avec les morceaux !
En l'absence du baptistère, du calvaire, des statues de la vierge et de saint Jean, et du chemin de croix (déchiqueté par les paroissiens), que reste-t-il à protéger ?
D'une part, les verrières sculptées de Székely, qui sont un peu à l'Argonne ce que les vitraux de Dürrbach sont à Mézières. D'autre part, la fresque de Borderie et Székely et les peintures des murs (malheureusement affadies lors de travaux municipaux il y a deux ans). Enfin, le mobilier presque abstrait, à l'image des sièges et du confessionnal.
Réclamée depuis longtemps par des passionnés comme Michel Coistia et l'abbé Pinard (lire par ailleurs), cette protection a été motivée, explique la Direction régionale des affaires culturelles, « par la qualité de son décor intérieur et son homogénéité, ainsi que par le caractère unique des vitraux-sculptures. » La Drac indique par ailleurs que « l'édifice et son décor formant un tout, c'est bien l'édifice dans sa totalité qui est protégé ».
Détruite par les soldats, saccagée par les villageois, condamnée par les religieux et dénaturée par les élus, l'église, ou du moins ce qu'il en reste, est enfin protégée de la folie des hommes.

 

15 sites protégés depuis 1998
On recense en France près de 42 000 sites protégés, dont 13 400 classés et 28 600 inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques. En mai 2010 (dernier chiffre connu), la région Champagne-Ardenne en comptait 1 423 (600 classés et 823 inscrits). On en dénombre aujourd’hui 222 dans les Ardennes.